1 Une premiĂšre version de ce texte a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e pendant lâUniversitĂ© dâĂ©tĂ© Penser les inĂ©galitĂ©s... 1Pour penser les inĂ©galitĂ©s » 1, il faut tenir compte de leur dimension spatiale. Selon Henri Lefebvre 1968, la ville est la projection au sol des rapports sociaux » ; les inĂ©galitĂ©s sociales ont nĂ©cessairement une traduction spatiale. Mais la notion mathĂ©matique de projection a un caractĂšre mĂ©canique et simplificateur la reprĂ©sentation sur un plan dâun objet dans lâespace simplifie ou rĂ©duit lâobjet et elle dĂ©pend des positions respectives de lâobjet projetĂ© et du plan. Dans la mĂ©taphore de la projection au sol des rapports sociaux, le spatial prime sur le social, mais leur relation est dialectique, avec des effets en retour Blanc, 2007. 2La mixitĂ© sociale est une politique consensuelle qui vise Ă rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s sociales en intervenant sur lâespace. Ce texte a deux objectifs en sâinspirant de Georg Simmel, montrer comment la mixitĂ© sociale est prise dans des contradictions et produit des effets pervers. Ensuite, esquisser comment le paradigme de la transaction sociale permet une conceptualisation plus satisfaisante de la mixitĂ© sociale et ouvre des pistes pour le dĂ©passement de ses contradictions internes. La mixitĂ© sociale au cĆur du conflit entre la libertĂ© et lâĂ©galitĂ© 3En France, une reprĂ©sentation sociale communĂ©ment admise voudrait que la cohĂ©sion de la sociĂ©tĂ© soit un objectif majeur une sociĂ©tĂ© sans cohĂ©sion et sans solidaritĂ© est une sociĂ©tĂ© qui se dĂ©lite et qui risque de disparaĂźtre. Pour cela, il faudrait que lâĂtat lutte contre les tendances Ă la sĂ©paration, en premier lieu contre la sĂ©grĂ©gation. Lâenjeu de cette lutte serait une sociĂ©tĂ© mixte », dans laquelle les individus seraient Ă©gaux et libres de se dĂ©placer en tout lieu. Cette reprĂ©sentation est contradictoire avec une seconde, communĂ©ment admise elle aussi, qui dĂ©nonce les mĂ©faits de lâĂtat-Providence la sĂ©curitĂ© sociale et lâensemble de la protection sociale auraient des effets pervers ; les individus deviendraient des assistĂ©s sociaux » et ils attendraient tout de lâĂtat, au lieu de chercher Ă se sortir dâaffaire par eux-mĂȘmes. On voit bien aujourdâhui comment, malgrĂ© les efforts du prĂ©sident Barack Obama, les USA sont engluĂ©s dans une dĂ©fense obsessionnelle de la libertĂ© contre le trop dâĂtat » et contre lâĂ©galitarisme », dĂ©noncĂ© comme la non reconnaissance des mĂ©rites individuels. Ces deux reprĂ©sentations sâopposent, mĂȘme si elles peuvent ĂȘtre prĂ©sentes dans le mĂȘme discours. La premiĂšre donne la prioritĂ© Ă une valeur fondamentale, lâĂ©galitĂ© ; la seconde met en avant une valeur tout aussi fondamentale, la libertĂ©. La libertĂ© inclut notamment la possibilitĂ© de vivre entourĂ© de ses proches. Le dĂ©bat sur la mixitĂ© prend sens dans le cadre de ce conflit de valeurs. Alexis de Tocqueville [1993 [1835], puis Georg Simmel, ont montrĂ© que le conflit entre lâĂ©galitĂ© et la libertĂ© est un conflit irrĂ©ductible Lâantinomie profonde entre la libertĂ© et lâĂ©galitĂ© [âŠ] ne peut se rĂ©soudre que [âŠ] dans la nĂ©gativitĂ© de lâabsence de possession et de lâabsence de puissance [âŠ]. Ce fut peut-ĂȘtre parce quâinstinctivement on a saisi la difficultĂ© de cet Ă©tat de choses quâon a joint Ă la libertĂ© et Ă lâĂ©galitĂ© une troisiĂšme exigence, celle de la fraternitĂ© » Simmel, [1907] 1981, pp. 144-145. 4Il faut dâabord lever les ambiguĂŻtĂ©s et clarifier les notions de sĂ©grĂ©gation et de mixitĂ©, en distinguant leur dimension spatiale et leur dimension sociale, ainsi que leur caractĂšre imposĂ© ou voulu. Il sera alors possible dâanalyser les formes prises par la mixitĂ© et la sĂ©grĂ©gation dans les registres fondamentaux de lâanthropologie et de la sociologie le sexe, lâĂąge, lâethnicitĂ© et la classe sociale. Ces relations sont faites Ă la fois dâopposition irrĂ©ductible et de complĂ©mentaritĂ©, ce qui explique de multiples traductions spatiales. Le couple de la mixitĂ© et de la sĂ©grĂ©gation 5MixitĂ© et sĂ©grĂ©gation sont deux pĂŽles opposĂ©s, mais de quoi ? Analytiquement, il faut dissocier la dimension sociale et la dimension spatiale des processus de sĂ©grĂ©gation et de mixitĂ© ces deux dimensions se recouvrent, mais en partie seulement. Contrairement au prĂ©supposĂ© implicite de la mixitĂ© sociale, le rapprochement physique ou spatial nâimplique pas automatiquement un dĂ©veloppement des Ă©changes sociaux. Dans La SociĂ©tĂ© de Cour, Norbert Elias 2008 [1939] notait que les domestiques au service du Roi sont trĂšs proches de lui physiquement, mais trĂšs Ă©loignĂ©s socialement. Sâil y a un certain cĂŽtoiement des classes sociales Ă la Cour, ce nâest ni de la cohabitation, ni de la mixitĂ© sociale. La dimension spatiale ne se limite pas Ă la dimension rĂ©sidentielle, mais cette derniĂšre occupe une place importante. Les conflits entre bons » et mauvais » voisins sont frĂ©quents et ils invitent Ă marquer la distance plutĂŽt quâĂ rechercher le rapprochement. Câest pourquoi la fameuse opposition proximitĂ© spatiale et distance sociale » a connu un grand succĂšs. Elle ne se limite pas aux grands ensembles dans lesquels elle a Ă©tĂ© observĂ©e en premier ChamborĂ©don & Lemaire, 1970. 6La cohabitation forcĂ©e de groupes qui ne la souhaitent pas conduit habituellement Ă lâĂ©vitement et Ă lâexacerbation des conflits de voisinage. Ceci introduit une seconde distinction analytique, selon le caractĂšre imposĂ© ou choisi de la sĂ©grĂ©gation et de la mixitĂ©. La sĂ©grĂ©gation a une connotation trĂšs nĂ©gative car elle est spontanĂ©ment perçue comme imposĂ©e Ă ceux qui la subissent. Elle peut ĂȘtre inscrite dans la loi qui rĂ©serve un espace, le ghetto, Ă lâusage exclusif dâun groupe ethnique et/ou religieux. Elle est plus souvent le rĂ©sultat dâun ensemble de rĂšgles non Ă©crites, Ă commencer par la loi dâairain du marchĂ© qui rĂ©partit riches et pauvres dans lâespace en fonction du prix du foncier. Il y a aussi une sĂ©grĂ©gation voulue, mais rarement perçue comme telle. Qui se ressemble sâassemble », dit le proverbe. On se rapproche de ceux que lâon connaĂźt et avec qui on a des affinitĂ©s le mĂȘme mĂ©tier, les mĂȘmes loisirs, une origine commune, etc. Pour se regrouper entre soi, on sâĂ©loigne nĂ©cessairement des autres, mĂȘme sâil nây a aucune hostilitĂ© envers eux. Le rĂ©sultat est une sĂ©grĂ©gation que Nicole Haumont 1996 appelle, en faisant un jeu de mots subtil, une agrĂ©gation ». 7Pour la France, le constat dâĂric Maurin 2004 est accablant du haut en bas de la pyramide sociale, la sociĂ©tĂ© sâorganise selon ce quâil appelle le sĂ©paratisme social », ou le ghetto les beaux quartiers » pour les riches Pinçon-Charlot, 2001, les quartiers stigmatisĂ©s pour les pauvres et les Ă©trangers. SĂ©grĂ©gation subie et agrĂ©gation voulue sont les pĂŽles extrĂȘmes, mais elles se combinent dans de nombreux cas. Le ghetto a un caractĂšre paradoxal ses habitants peuvent ressentir douloureusement quâils sont rejetĂ©s et assignĂ©s Ă rĂ©sidence ; en mĂȘme temps, ils peuvent trouver quâici au moins ils nâont pas Ă supporter le regard dĂ©sapprobateur et mĂ©prisant des classes supĂ©rieures Lapeyronie, 2008. La mixitĂ© sociale imposĂ©e produit des cohabitations conflictuelles Enforced desegregation is no better than enforced segregation » Edgar et al., 2004. Les formes et les limites de la mixitĂ© sociale 8Il sera peu question ici de la mixitĂ© des fonctions urbaines. Dans La Charte dâAthĂšnes, Le Corbusier 1971 [1942] prĂ©conisait la sĂ©paration des fonctions habiter, travailler, se recrĂ©er et circuler. La coupure entre lâespace de lâhabitat et celui du travail se fonde sur un argumentaire hygiĂ©niste les ouvriers ont droit Ă lâair pur et au soleil, loin des pollutions industrielles. En mĂȘme temps, Le Corbusier voyait dans lâurbaniste lâaccoucheur » de la sociĂ©tĂ© moderne. Les grands ensembles voulaient ĂȘtre des citĂ©s radieuses » et des foyers de convivialitĂ©. Le Corbusier Ă©tait partisan Ă la fois de la spĂ©cialisation des espaces donc dâune forme de sĂ©grĂ©gation spatiale et de la mixitĂ© sociale. Il Ă©tait convaincu quâun bon urbanisme permettrait de faire lâĂ©conomie dâune rĂ©volution Le Corbusier, 2008 [1923]. Une forme urbaine judicieusement choisie aurait des effets positifs sur les relations de voisinage, permettant le dĂ©veloppement dâune communautĂ© harmonieuse. Lâespace influence les relations sociales, positivement ou nĂ©gativement. Mais la forme urbaine nâa pas dâinfluence mĂ©canique sur les pratiques des habitants et il est risquĂ© de faire dâelle un levier de lâingĂ©nierie sociale. Le mĂ©lange des sexes 2 Pascale Kremer et Martine Laronche, La condition des jeunes filles sâest dĂ©gradĂ©e dans les quarti ... 9Câest une dimension essentielle, qui illustre la double face de la mixitĂ© sociale. Câest dâabord Ă lâĂ©cole quâil faut poser la question de la mixitĂ© des sexes. Ma gĂ©nĂ©ration a encore connu des Ă©coles et des lycĂ©es de garçons, distincts de ceux des filles. Aujourdâhui, cette mixitĂ© dĂšs le plus jeune Ăąge est un grand progrĂšs pour tout le monde. Câest en cĂŽtoyant rĂ©ellement lâautre sexe et non de façon imaginaire et fantasmĂ©e, que lâon sâapprivoise mutuellement, que lâon arrive Ă se connaĂźtre, Ă gĂ©rer ses diffĂ©rences et ses oppositions. Pourtant, au dĂ©but des annĂ©es 2000, des jeunes filles maghrĂ©bines se sont plaintes du machisme » de leurs frĂšres, petits et grands, dans lâenceinte scolaire ; elles aspiraient Ă des lieux bien Ă elles. LĂ au moins, elles seraient Ă lâabri des violences et du harcĂšlement 2. Ă un autre niveau, de nombreux mouvements fĂ©ministes rĂ©clament des lieux pour que les femmes puissent se rĂ©unir entre elles, de façon non mixte. Si des hommes sont prĂ©sents, ils tendent Ă monopoliser la parole, mĂȘme sâils se dĂ©clarent fĂ©ministes »⊠On ne peut affirmer que la mixitĂ© des sexes soit automatiquement un progrĂšs ; tout dĂ©pend du contexte et il faut se demander si la mixitĂ© favorise lâĂ©mancipation des femmes ou si elle contribue Ă les maintenir, sous de nouvelles formes, dans la soumission. Le plus souvent, le refus de la mixitĂ© des sexes est le fait des conservateurs la nostalgie des Ă©coles sĂ©parĂ©es est bien enracinĂ©e chez les intĂ©gristes religieux, chrĂ©tiens ou musulmans. 3 Jacques Isnard, Les femmes sont lâavenir de lâarmĂ©e française », Le Monde, 10La mixitĂ© scolaire se prolonge par la mixitĂ© professionnelle, fortement encouragĂ©e par lâUnion europĂ©enne qui a fait de lâĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes une de ses prioritĂ©s. La fĂ©minisation des professions traditionnellement rĂ©servĂ©es aux hommes a des effets positifs. Les connaisseurs de lâarmĂ©e et de la police reconnaissent que la prĂ©sence fĂ©minine fait obstacle Ă une culture machiste » qui permet encore bien des abus 3. En mĂȘme temps, la guerre dâIrak a montrĂ© que, dans lâarmĂ©e amĂ©ricaine, les femmes soldats pouvaient ĂȘtre aussi redoutables que les hommes en matiĂšre de torture. Ăduquer ensemble filles et garçons, ouvrir toutes les professions aux femmes comme aux hommes, voilĂ des choix de sociĂ©tĂ© qui, sans nier la biologie, sont indĂ©pendants dâelle. La mixitĂ© des sexes est bien une forme de mixitĂ© sociale. Le mĂ©lange des gĂ©nĂ©rations 11La mixitĂ© des gĂ©nĂ©rations est une autre forme. Elle a des rĂ©percussions importantes sur lâamĂ©nagement des villes. Je me limite Ă deux exemples, les jeunes et les personnes ĂągĂ©es. Un certain nombre dâentre eux connaissent des formes de logement spĂ©cifique le foyer » du troisiĂšme Ăąge ou du jeune travailleur, la citĂ© » universitaire, etc. Cette sĂ©paration traditionnelle se fonde sur de bonnes raisons. Jeunes et vieux ont des modes de vie et des besoins diffĂ©rents, mĂȘme si cette opposition est schĂ©matique et connaĂźt de nombreuses exceptions. Les seconds aspirent au calme et ils ont besoin de soins adaptĂ©s. Les premiers ont besoin dâespaces pour faire du sport, de la musique, etc. En vivant ensemble, ils se gĂȘneraient mutuellement. La sĂ©paration permet Ă chaque groupe de vivre comme il lâentend. 12Mais il ne faut pas nĂ©gliger le revers de la mĂ©daille. Les personnes ĂągĂ©es extraites de leur milieu de vie et regroupĂ©es entre elles sont dĂ©sorientĂ©es. Elles se sentent isolĂ©es et inutiles et, du coup, elles dĂ©pĂ©rissent rapidement. Le maintien Ă domicile, dans leur environnement familier et avec les adaptations nĂ©cessaires, est bien prĂ©fĂ©rable. Mais il arrive un moment oĂč les soins mĂ©dicaux et autres deviennent trop lourds pour pouvoir sâeffectuer Ă domicile. La maison de retraite mĂ©dicalisĂ©e sâimpose alors et la mixitĂ© des gĂ©nĂ©rations atteint une de ses limites. 13Pour les jeunes aussi, vivre entre soi prĂ©sente Ă la fois des avantages et des inconvĂ©nients. Le logement des jeunes est trĂšs segmentĂ©. Les Ă©tudiants sont dans des citĂ©s, les jeunes travailleurs dans des foyers. JusquâĂ une date rĂ©cente, citĂ©s et foyers logeaient sĂ©parĂ©ment hommes et femmes. Aujourdâhui, seule une sĂ©grĂ©gation manifestement sociale est maintenue entre Ă©tudiants, destinĂ©s Ă devenir de futurs cadres mĂȘme si leur avenir professionnel est incertain et jeunes ouvriers souvent au chĂŽmage. Sauf exception, ces jeunes, qui ne sont pas logĂ©s Ă la mĂȘme enseigne, ne viennent pas des mĂȘmes milieux sociaux. Ils nâont ni les mĂȘmes modes de vie, ni les mĂȘmes perspectives dâavenir. Est-ce une raison pour vivre chacun de son cĂŽtĂ© et dans lâignorance de lâautre ? Câest poser la question de la mixitĂ© proprement sociale et, en simplifiant, de la cohabitation entre riches et pauvres. Le mĂ©lange des classes sociales 14Il y a une multitude de critĂšres de ressemblance le mĂ©tier, la langue, la religion, la nationalitĂ©, la passion pour le sport, la musique ou lâalcool, etc. Le plus souvent, ces critĂšres se combinent subtilement Ă lâintĂ©rieur des classes sociales. Pour donner un exemple caricatural, les enfants de la bourgeoisie sont nombreux Ă jouer au piano et au tennis et Ă boire du whisky. Par contre, les enfants des milieux populaires jouent au football et boivent de la biĂšre, peut-ĂȘtre par goĂ»t, mais aussi parce que câest moins cher. MĂȘme lorsque les participants le nient, la classe sociale, dont le niveau de ressources est un marqueur essentiel, joue un rĂŽle important dans ces regroupements affinitaires Bourdieu, 1979. Câest notamment le cas dans le domaine du logement. Les habitants dâun mĂȘme immeuble peuvent avoir entre eux de trĂšs grands Ă©carts, en termes de modes de vie et de richesse, mais ils ont un point commun ils ont la capacitĂ© de payer le prix demandĂ©. Sinon, ils seraient rapidement expulsĂ©s. Cette rĂšgle trĂšs simple joue dans le secteur libre, rĂ©gi par les mĂ©canismes du marchĂ©. Mais elle sâapplique aussi dans le logement social, son mode de financement aboutissant Ă une correspondance assez Ă©troite entre les immeubles et les niveaux de ressources voir ci-aprĂšs. LâintĂ©gration des Ă©trangers 15Ă certaines pĂ©riodes de lâhistoire, les Juifs ont Ă©tĂ© assignĂ©s Ă rĂ©sidence dans des ghettos. Au sens propre, il nây a plus guĂšre de ghettos aujourdâhui, câest-Ă -dire dâespaces Ă lâusage exclusif dâun groupe. On peut parler Ă la rigueur de ghettos de riches » Pinçon & Pinçon-Charlot, 2000 ; Maurin, 2004. Il continue Ă y avoir des ghettos », dans le sens peu rigoureux de concentrations dâĂ©trangers, dans certains quartiers dĂ©valorisĂ©s et stigmatisĂ©s, Ă Strasbourg, Paris, Londres, Chicago ou Johannesburg. En France, câest le plus souvent dans les grands ensembles de logements sociaux en lointaine banlieue. En Grande-Bretagne et en AmĂ©rique du Nord, câest surtout dans lâhabitat dĂ©gradĂ© du centre ville, avant le processus de gentrification. Dans les deux cas, câest une forme de rejet des Ă©trangers. Ils logent dans ce qui reste, quand les autres ont pris le meilleur Blanc, 2003. 16La mixitĂ© sociale est prĂ©sentĂ©e comme une valeur rĂ©publicaine » ce qui nâest jamais dĂ©fini et comme la condition dâune bonne intĂ©gration des Ă©trangers, devenant implicitement une mixitĂ© ethnico-sociale. Lâargumentaire voudrait que les Ă©trangers, restant entre eux, ne puissent sâintĂ©grer dans le pays dâaccueil. Cette volontĂ© de brassage des populations Ă©trangĂšres part dâune bonne intention, mais aussi dâune grande ignorance un certain nombre dâĂ©trangers souhaitent vivre avec des compatriotes et non au milieu dâune population dont ils ignorent la langue et la culture. Les disperser revient Ă les isoler et Ă renforcer leur marginalisation. La communautĂ© ethnique nâest pas toujours un obstacle Ă lâintĂ©gration, elle peut au contraire jouer un rĂŽle dâintermĂ©diaire et de sas Blanc, 2004a. 4 CitĂ© par Mathilde Mathieu, Un camping de Pornichet soupçonnĂ© de discrimination raciale », Le Mond ... 17Le discours mĂ©diatique sur lâĂ©tranger lâassimile implicitement Ă un pauvre. Sans coĂŻncider totalement, le rejet de lâĂ©tranger et celui du pauvre vont ensemble. Le paradoxe est que le rejet du pauvre est admis, celui de lâĂ©tranger de moins en moins. Le propriĂ©taire dâun camping soupçonnĂ© de discrimination raciale a eu, pour sa dĂ©fense, cette phrase Ă©loquente Je ne regarde que le porte-monnaie des clients et jamais la couleur de la peau » 4. Il serait coupable sâil avait refusĂ© un client Ă cause de sa nationalitĂ© et/ou de ses origines. Il est innocent puisquâil sâest lĂ©gitimement inquiĂ©tĂ© de la solvabilitĂ© de son client. Personne ne sâoffusque de cette discrimination par lâargent qui se pratique Ă grande Ă©chelle riches et pauvres ne vont pas dans les mĂȘmes hĂŽtels, restaurants ou cafĂ©s. Le dogme français de la mixitĂ© sociale 18Dans un grand nombre de pays, la rĂ©duction de la sĂ©grĂ©gation est une prĂ©occupation majeure de la planification urbaine. Mais les objectifs visĂ©s sont rarement atteints et les rĂ©sultats obtenus sâavĂšrent dĂ©cevants Bolt et al., 2010. Fruit dâune longue tradition centralisatrice et jacobine, la planification urbaine en France est orchestrĂ©e par le gouvernement central et il privilĂ©gie le recours Ă la loi dans la lutte contre la sĂ©grĂ©gation. La loi relative Ă la SolidaritĂ© et au renouvellement urbain SRU de dĂ©cembre 2000 fait de la mixitĂ© sociale une valeur cardinale. Elle a voulu renforcer et rendre plus contraignants les dispositifs de la loi dâorientation de la ville de 1991, dite anti-ghetto ». Elle a Ă©tĂ© Ă son tour complĂ©tĂ©e par la loi dâorientation et de programmation pour la ville et la rĂ©novation urbaine en aoĂ»t 2003 voir section ci-aprĂšs. Lâanalyse de ces nouveaux dispositifs est source dâĂ©tonnement, faisant douter du rĂ©alisme de ces mesures section suivante. Les bilans rĂ©alisĂ©s au bout de dix ans montrent des rĂ©sultats maigres et paradoxaux la mixitĂ© sociale reste un idĂ©al bien lointain section dâaprĂšs. Lâempilement des lois 19Il y a toujours une part dâarbitraire dans la dĂ©termination du dĂ©but dâune politique publique car la loi, ou le rĂšglement, formalisent des rĂ©flexions engagĂ©es prĂ©alablement. Pour la mixitĂ© sociale en France, la loi dâOrientation pour la ville de 1991 marque une Ă©tape importante. Ă lâĂ©poque, elle a dâailleurs Ă©tĂ© surnommĂ©e la loi anti-ghetto ». Elle affirme la nĂ©cessitĂ© dâempĂȘcher la sĂ©grĂ©gation ; les grands ensembles de logements sociaux dans les banlieues sont explicitement sa cible principale. Cette loi ne concerne que les agglomĂ©rations urbaines de plus de 200 000 habitants, elle veut gĂ©nĂ©raliser lâusage des Programmes locaux de lâhabitat dans la planification locale, etc. Comme beaucoup de lois dâorientation, celle-ci Ă©nonce des principes, tout en restant vague sur les mesures concrĂštes Ă mettre en Ćuvre. 5 Les chiffres varient selon les sources Ă partir des dĂ©clarations des rĂ©sidents, les recensements ... 20En dĂ©cembre 2000, la loi SolidaritĂ© et renouvellement urbain SRU rĂ©affirme lâimportance de la mixitĂ© sociale et elle met en place un dispositif plus contraignant. En sachant quâĂ lâĂ©poque le logement social reprĂ©sentait 16 Ă 17 % du parc de logement de la France mĂ©tropolitaine 5, cette loi concerne les agglomĂ©rations urbaines de plus de 50 000 habitants, Ă lâintĂ©rieur desquelles elle impose aux communes de plus de 1 500 habitants en Ăle-de-France plus de 3 500 ailleurs, dâatteindre en vingt ans donc dâici 2020 un seuil minimum de 20 % de logements sociaux sur leur territoire ; 730 communes Ă©taient concernĂ©es Ă lâĂ©poque. Elles ont Ă©tĂ© soumises Ă des engagements, Ă©valuĂ©s tous les trois ans, pour rĂ©sorber progressivement leur dĂ©ficit. Le PrĂ©fet est chargĂ© de surveiller la bonne exĂ©cution de la loi SRU dans son DĂ©partement ; il a la possibilitĂ© trĂšs peu utilisĂ©e dâinfliger des amendes aux communes rĂ©calcitrantes. Ăconomiquement et techniquement, cet objectif peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme rĂ©aliste, mais ambitieux et nĂ©cessitant une volontĂ© politique forte. 21En aoĂ»t 2003, la loi dâorientation et de programmation de la Ville et de la RĂ©novation urbaine est adoptĂ©e. Il faut noter quâelle rĂ©introduit lâexpression de rĂ©novation urbaine », qui Ă©tait utilisĂ©e dans les annĂ©es 1960 et qui a laissĂ© de trĂšs mauvais souvenirs la rĂ©novation Ă©tait la destruction des immeubles dĂ©clarĂ©s insalubres dans les vieux quartiers centraux et la construction de nouveaux logements, pas forcĂ©ment sur place et bien souvent Ă la pĂ©riphĂ©rie Coing, 1966. La loi SRU a soigneusement Ă©vitĂ© cette expression, lui prĂ©fĂ©rant celle, plus neutre, de renouvellement » urbain. 22La loi de 2003 a renouĂ© avec la politique de la table rase », lançant un programme massif de rĂ©novation-destruction, appelĂ© Programme national de rĂ©novation urbaine PNRU. 250 000 logements sociaux, principalement dans les banlieues, devaient ĂȘtre dĂ©truits en cinq ans. En principe, 250 000 logements de remplacement devaient ĂȘtre construits, mais en grande partie ailleurs, pour aboutir Ă une plus grande mixitĂ© sociale il fallait dâune part attirer les classes moyennes dans les quartiers stigmatisĂ©s pour changer leur image ; il fallait aussi disperser les locataires pauvres du logement social pour casser les ghettos », en reprenant le mot dâordre du gouvernement dâunion de la Gauche de Lionel Jospin Domergue, 2010, p. 33. Pour exĂ©cuter ce programme au double sens du terme, la loi a créé lâAgence nationale pour la rĂ©novation urbaine ANRU, ce qui permet au gouvernement central de piloter les opĂ©rations et de contrĂŽler les autoritĂ©s locales, par le biais des financements. 232010 a Ă©tĂ© lâoccasion dâun bilan Ă mi-parcours pour la loi SRU, qui se donne jusquâĂ 2020 pour atteindre 20 % de logements sociaux partout. Puisque les deux sont intimement liĂ©s, câest aussi lâoccasion de faire le bilan du PNRU il aurait dĂ» sâachever en 2008, mais il a Ă©tĂ© prolongĂ© jusquâen 2013, sous le sigle PNRU 2. Ce bilan est en demi-teinte. LâhostilitĂ© Ă la loi SRU a fortement baissĂ© voir section suivante. Sur les 730 communes concernĂ©es, 325, soit 45 %, ne sont pas en rĂšgle avec la loi SRU. Pour se justifier, de nombreux maires mettent en avant les problĂšmes techniques et financiers, notamment le prix des terrains particuliĂšrement en rĂ©gion parisienne et sur la CĂŽte dâAzur ; ils affirment leur bonne foi et ils plaident pour un allongement des dĂ©lais. 6 Laurence Boccara, Le bilan contrastĂ© de la loi SRU », Les Ăchos, 7 Patrick Doutreligne, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral de la Fondation AbbĂ© Pierre, citĂ© par Isabelle Rey-Lefebvre, ... 24Mais lâenvolĂ©e du prix du foncier peut aussi servir dâalibi. Une poignĂ©e dâĂ©lus locaux prĂ©fĂšre payer des pĂ©nalitĂ©s que de construire du logement social. Les pĂ©nalitĂ©s sont trop faibles pour ĂȘtre dissuasives Cette taxe, dont le calcul complexe fait passer le montant [de 152] Ă 324 euros, est prĂ©levĂ©e par lâĂtat sur les ressources fiscales de la commune, mais le dispositif coercitif nâa finalement jamais dĂ©montrĂ© son efficacitĂ© » 6. Ce que confirme le sĂ©nateur de lâUnion pour la majoritĂ© prĂ©sidentielle UMP, Jean-Paul Alduy citĂ© dans le mĂȘme article Il existe mille et une façons de ne pas payer ou de minorer cette amende. Bref, il est facile de passer Ă travers les mailles du filet ». Parmi les villes rĂ©fractaires, on trouve Neuilly-sur-Seine, la ville du prĂ©sident Nicolas Sarkozy ! Tout en se rĂ©jouissant quâune dynamique vertueuse soit enclenchĂ©e, la Fondation AbbĂ© Pierre regrette que 325 communes ne respectent pas la loi et 240 seulement ont Ă©tĂ© sanctionnĂ©es. LâĂtat devrait ĂȘtre plus ferme, il faudrait tripler les pĂ©nalitĂ©s et que lâĂtat fasse jouer son droit de substitution aux maires dĂ©faillants » 7. 25En ce qui concerne le PNRU, ce programme irrĂ©aliste nâa pas atteint ses objectifs fin 2010 donc deux ans aprĂšs la date initialement annoncĂ©e pour la fin du programme, le nombre de logement dĂ©molis nâĂ©tait que » de 139 000, pour 133 000 logements reconstruits CES ANRU, 2011, p. 8. Dans une pĂ©riode de dĂ©ficit de logements abordables, cette destruction systĂ©matique est choquante on aurait pu mobiliser ces moyens pour construire davantage, au lieu de construire âĂ la placeâ » Domergue, 2010, p. 35. Le ComitĂ© dâĂ©valuation et de suivi de lâANRU note plusieurs limites importantes les conditions de vie des habitants ne sont pas suffisamment amĂ©liorĂ©es ; [âŠ] la mixitĂ© sociale espĂ©rĂ©e nâest pas globalement atteinte » CES ANRU, 2011, p. 16. La mixitĂ© sociale, un consensus sur une chimĂšre impossible Ă mesurer 26En 2000, dans un gouvernement dâunion de la Gauche, un Ministre communiste de lâĂquipement et du logement, Jean-Claude Gayssot, a Ă©tĂ© le maĂźtre dâĆuvre de la loi SRU. Ce portage politique ne surprend pas, la Gauche et la Droite sâĂ©tant vigoureusement opposĂ©es lors du dĂ©bat parlementaire. Pourtant, en dâautres temps, les marxistes se mĂ©fiaient de la mixitĂ© sociale, dans laquelle ils voyaient une ruse du patronat pour tenter de diluer la conscience de classe ouvriĂšre Guerrand, 1966. Mais la mixitĂ© sociale est cohĂ©rente avec le communisme municipal », tel quâil a Ă©tĂ© pratiquĂ© notamment dans lâex- banlieue rouge » parisienne. LâĂ©galitĂ© entre les communes est le souci principal dans les annĂ©es 1960, les municipalitĂ©s communistes ont tentĂ© de sâopposer, sans grand succĂšs, Ă la volontĂ© du gouvernement central et de la ville de Paris de construire chez elles les grands ensembles pour le relogement des exclus de la rĂ©novation Baudin, 2000 ; Castells et al., 1973. Elles soutenaient que ce fardeau » ne devait pas reposer uniquement sur les communes ouvriĂšres, qui avaient dĂ©jĂ suffisamment de pauvres, mais quâil devait ĂȘtre Ă©galement rĂ©parti entre toutes les communes. 8 Jean Leonetti, citĂ© par Isabelle Rey-Lefebvre, La France doit-elle construire plus de logements s ... 27En 2003, le Ministre de lâĂquipement et du logement est un centriste, Jean-Louis Borloo, membre de lâUnion pour la majoritĂ© prĂ©sidentielle de Jacques Chirac. Il a Ă©tĂ© le promoteur de la politique de rĂ©novation urbaine massive et il a rĂ©sistĂ© aux appels de la fraction de la droite la plus conservatrice elle voulait abolir ou au moins assouplir lâobligation de mixitĂ© sociale, au nom de la libertĂ© et du marchĂ©. En matiĂšre de politique du logement, la mixitĂ© fait aujourdâhui partie du socle commun acceptĂ© par la Droite et la Gauche. Le maire dâAntibes CĂŽte dâAzur et dĂ©putĂ© de lâUnion pour la majoritĂ© prĂ©sidentielle UMP a votĂ© contre la loi SRU en 2000. Il dĂ©clare aujourdâhui malgrĂ© ses imperfections, la loi SRU a Ă©tĂ© un outil, un levier pour imposer la mixitĂ© sociale dans nos communes » 8. Dans ce domaine, la continuitĂ© lâemporte sur la rupture Blanc, 2007. La loi de 2003 renforce les moyens de rĂ©aliser la mixitĂ© sociale prĂ©vue en 2000, en Ă©tant aveugle Ă ses effets pervers. 28Cette doctrine prĂ©suppose que lâabsence de mixitĂ© sociale est un problĂšme exclusivement urbain section ci-aprĂšs. Elle comporte aussi deux biais mĂ©thodologiques elle prend la proportion de logements sociaux dans la commune comme indicateur de mixitĂ© sociale, sans se prĂ©occuper de la pertinence de la mesure Ă cette Ă©chelle section suivante. Elle ne tient pas compte de lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© de la population du logement social, la seule prĂ©sence de logements sociaux nâest pas un indicateur pertinent de mixitĂ© sociale section dâaprĂšs. La mixitĂ© en ville et Ă la campagne 29Le fondement implicite de la loi SRU fait du dĂ©ficit de solidaritĂ© un phĂ©nomĂšne spĂ©cifiquement urbain. Il faut donc imposer davantage de solidaritĂ© » dans les villes, mais les campagnes sont hors du champ de la loi, puisque le problĂšme ne sây pose pas Blanc & Bidou, 2010. Ce prĂ©supposĂ© doit ĂȘtre questionnĂ© il y a sans doute des solidaritĂ©s Ă lâintĂ©rieur des communautĂ©s villageoises, mais aussi des querelles de clocher ». Les nouveaux arrivants sont des intrus et lâopposition Established vs. Outsiders Elias & Scotson, [1965] joue Ă plein. Les villageois sont particuliĂšrement allergiques Ă la crĂ©ation de logements sociaux dans leur commune, de peur quâelle nâentraĂźne lâarrivĂ©e des cas sociaux », rejetĂ©s par la ville. La mesure de la mixitĂ© sociale Ă lâĂ©chelle communale 30Si la sĂ©grĂ©gation et la mixitĂ© sont prĂ©sentes dans les villes et les campagnes, elles prennent des formes diffĂ©rentes. Paradoxalement, la loi SRU ne sâapplique que dans les agglomĂ©rations urbaines et elle raisonne pourtant comme si la France ne comportait que des petites communes rurales, qui seraient Ă la fois une unitĂ© de la vie sociale et une unitĂ© administrative. Dans une ville grande et mĂȘme moyenne, 20 % de logements sociaux nâa pas grand sens en termes de sĂ©grĂ©gation et de mixitĂ© si on ne sait rien de la rĂ©partition intra-communale si les logements sociaux sont concentrĂ©s dans certains quartiers, alors que dâautres nâen comptent pas, la commune sera peut-ĂȘtre en rĂšgle avec la loi SRU, mais la mixitĂ© sociale sera faible. Il est curieux que cette objection Ă©lĂ©mentaire soit si largement nĂ©gligĂ©e. La diversitĂ© du logement social 31Dans le langage courant comme dans la loi SRU, le logement social est assimilĂ© Ă celui des pauvres. La rĂ©alitĂ© est beaucoup plus nuancĂ©e et complexe, pour deux raisons essentielles tous les pauvres ne vivent pas dans le logement social et, inversement, le logement social nâhĂ©berge pas que des pauvres. Câest la principale limite de la mixitĂ© sociale par le statut dâoccupation du logement tenure mix, en anglais il y a des riches et des pauvres, aussi bien chez les propriĂ©taires que les locataires Tunstall & Fenton, 2006. Historiquement, le logement social est nĂ© en France avec les habitations Ă bon marchĂ© », suivies par les habitations Ă loyer modĂ©rĂ© », les fameuses HLM Guerrand, 1966. Ces logements sont construits et gĂ©rĂ©s par des collectivitĂ©s territoriales communes et dĂ©partements ou par des organismes parapublics les ex-sociĂ©tĂ©s anonymes dâHLM, devenues Entreprises sociales de lâhabitat. Ces organismes bĂ©nĂ©ficient de financements publics, ce qui leur permet de pratiquer des loyers modĂ©rĂ©s », câest-Ă -dire infĂ©rieurs Ă ceux du marchĂ©. Juridiquement, les logements sociaux sont rĂ©servĂ©s aux mĂ©nages aux ressources modestes ». 32Ce loyer, mĂȘme modĂ©rĂ©, est encore trop Ă©levĂ© pour les plus pauvres ils sont mal logĂ©s dans les taudis du secteur privĂ©, ce que lâon a appelĂ© le marchĂ© de lâinsalubre » Rudder-Paurd & Vourcâh, 1978, ou encore le logement social de fait. Les dĂ©bats sur la mixitĂ© sociale et la loi SRU ne tiennent aucun compte des pauvres logĂ©s dans le secteur privĂ©, parce quâils ne peuvent accĂ©der au logement social. De plus, les organismes de logement social ne veulent pas loger exclusivement des pauvres. Ils ne veulent pas que logements sociaux » rime avec ghettos » et ils se prĂ©sentent comme des gĂ©nĂ©ralistes de lâhabitat », en invoquant les bienfaits de la mixitĂ© sociale. 33Le logement social est segmentĂ©. Sous des appellations qui changent souvent, il y a une hiĂ©rarchie Ă trois niveaux le logement social ordinaire », en-dessous le logement trĂšs social » et au-dessus le logement social intermĂ©diaire », ce qui veut dire entre le logement social et le marchĂ© libre. Lorsquâelles ont Ă©tĂ© construites par des organismes de logement social, les citĂ©s universitaires sont considĂ©rĂ©es comme du logement social, mĂȘme la rĂ©sidence des Ă©lĂšves de la trĂšs prestigieuse Ăcole nationale dâadministration ENA, en plein centre de Strasbourg. Ceci entraĂźne des niveaux de loyer diffĂ©rents, des plafonds de ressources diffĂ©rents et des listes dâattente diffĂ©rentes. Câest pourquoi le logement social a Ă©tĂ© accusĂ© de produire des sĂ©grĂ©gations sociales Barre, 1976. Mais la rĂ©forme du financement du logement social de 1977, qui a voulu a voulu favoriser la mixitĂ© par la mobilitĂ© des locataires, au moyen de lâaide personnalisĂ©e au logement, est dans une logique nĂ©o-libĂ©rale et elle nâa rien arrangĂ© Blanc, 2004b. Quand il y a des trĂšs pauvres dans le parc privĂ© et des classes moyennes dans le parc social, le pourcentage de logements sociaux est un instrument trĂšs grossier pour mesurer la mixitĂ© sociale. Les paradoxes de la mixitĂ© sociale 34Dans la thĂ©orie de la complexitĂ©, un paradoxe est une situation dans laquelle il faut satisfaire en mĂȘme temps deux injonctions opposĂ©es et dâĂ©gale valeur Morin, 1991. Ainsi la rĂ©novation urbaine vise Ă disperser les pauvres, mais sans savoir oĂč les reloger, car personne ne veut les accueillir. MĂȘme Ă dose homĂ©opathique, ils continuent Ă dĂ©ranger et ils se retrouvent entre eux, souvent Ă proximitĂ© section ci-aprĂšs. Par ailleurs, une mixitĂ© qui admet des exceptions nâest pas une vraie mixitĂ©. Câest pourtant ce qui se produit aux deux extrĂȘmes, avec lâexclusion des plus pauvres et lâauto-exclusion des plus riches section suivante. RĂ©novation-dĂ©molition, dispersion et re-concentration 35Pour contraindre Ă la mixitĂ© sociale, la rĂ©novation urbaine dĂ©truit beaucoup de logements sociaux, mĂȘme en bon Ă©tat, en ne tenant aucun compte du fait que la plupart des intĂ©ressĂ©s voudrait rester dans leur quartier et mĂȘme conserver leur logement, avec des amĂ©liorations modestes. Il y a Ă cela deux types de raisons, Ă©conomiques et affectives. Les pauvres sont rĂ©alistes ils savent que, si le logement est amĂ©liorĂ©, il sera nĂ©cessairement plus cher. Ils ne veulent pas prendre le risque de se retrouver Ă la rue, faute de pouvoir payer le nouveau loyer. Dâautre part, les pauvres sont attachĂ©s Ă leur habitat et Ă leur quartier parce quâils y ont leur famille et/ou leurs amis, leurs habitudes et, surtout, des rĂ©seaux dâentraide et de solidaritĂ© patiemment construits. DĂ©mĂ©nager dans un autre quartier, câest se retrouver isolĂ© avant dâavoir reconstruit de nouveaux rĂ©seaux de solidaritĂ©, ce qui est beaucoup plus long que les rĂ©seaux sociaux » sur internet ! La rĂ©novation urbaine ne dĂ©truit pas seulement des immeubles, elle abolit un pan de la culture et de la vie sociale dâun quartier Coing, 1966. 36Ce saut dans lâinconnu est dâautant plus inacceptable que le relogement est habituellement mal prĂ©parĂ© les nouveaux logements prennent du retard, la stigmatisation par lâancienne adresse crĂ©e des barriĂšres et les locataires redoutent le jugement nĂ©gatif de leurs futurs voisins. Câest aussi une Ă©preuve pour les autoritĂ©s locales et les bailleurs sociaux, mal prĂ©parĂ©s Ă gĂ©rer ce genre de situation. Les contraintes bureaucratiques et financiĂšres sont telles que les locataires que lâon voulait disperser se retrouvent ensemble ! Câest le phĂ©nomĂšne de re-concentration, observĂ© notamment en Ăle-de-France LelĂ©vrier, 2010. Ce phĂ©nomĂšne nâa rien de nouveau observant la premiĂšre rĂ©novation urbaine Ă Paris, menĂ©e par le Baron Haussmann sous le second Empire 1852-1870, Friedrich Engels 1957 [1887] notait la question du logement nâest pas rĂ©solue, [âŠ] elle est seulement dĂ©placĂ©e ». Une mixitĂ© sociale limitĂ©e aux couches moyennes et petites-moyennes 37On peut distinguer deux types de communes laissant Ă dĂ©sirer du point de vue de la mixitĂ© celles qui nâont pas assez de logements sociaux et doivent en construire pour se mettre en conformitĂ© avec la loi les communes SRU », selon Didier Desponds, 2010 et celles qui en ont trop et cherchent Ă en perdre, mĂȘme si elles nây sont pas tenues par la loi les communes ANRU ». En Ăle-de-France, les communes ANRU sont dâanciennes communes ouvriĂšres de la banlieue rouge », dans lesquelles la proportion de classes moyennes a lĂ©gĂšrement augmentĂ©, via lâaccession Ă la propriĂ©tĂ© les opĂ©rations de rĂ©novation urbaine bĂ©nĂ©ficient davantage aux classes moyennes » Desponds, 2010, p. 55. Les classes moyennes sont aussi bĂ©nĂ©ficiaires dans lâattribution des logements sociaux, puisquâon cherche Ă les faire revenir pour Ă©viter de reconstituer des concentrations de pauvres, on avantage les candidats de classe moyenne, au dĂ©triment du principe de justice sociale. 38En Ăle-de-France, la sĂ©grĂ©gation augmente Ă la fois dans les quartiers les plus riches et les plus pauvres. Entre les deux, câest-Ă -dire dans la majoritĂ© des quartiers, la mixitĂ© augmente lĂ©gĂšrement ; mĂȘme dans les quartiers gentrifiĂ©s » PrĂ©teceille, 2006. Nouveau paradoxe, ce qui est normal » pour les riches, pratiquer lâentre-soi, est interdit aux pauvres, ce qui les fragilise. Lâinjonction Ă la mixitĂ© sociale sâadresse surtout aux catĂ©gories intermĂ©diaires. Si le discours a changĂ©, la situation reste proche de celle du xixe siĂšcle, lorsque la petite bourgeoisie avait la mission » de vivre au milieu du peuple pour lâĂ©duquer et le civiliser Guerrand, 1967. Mais la grande noblesse, comme la grande bourgeoisie, nâĂ©tait pas concernĂ©e. 39Dans les quartiers en cours de gentrification, les gentrifieurs » les fameux bourgeois-bohĂȘmes peuvent toujours se rassurer en se disant que leur prĂ©sence est la cause de la mixitĂ© sociale » Charmes, 2005, p. 123, ce qui est en partie vrai, mais Ă court terme seulement. Ils mettent en avant le mĂ©lange des nationalitĂ©s, mais cette mixitĂ© ethnico-sociale est beaucoup plus facile Ă rĂ©aliser Ă lâintĂ©rieur des mĂȘmes catĂ©gories aisĂ©es, qui valorisent le cosmopolitisme, quâentre couches moyennes et couches populaires. Toutes origines ethniques et/ou nationales confondues, les pauvres sont les exclus de la gentrification. Les frontiĂšres de classe sont plus rĂ©sistantes que les frontiĂšres ethniques. 40Le paradigme de la transaction sociale est pertinent pour analyser une pratique sociale aussi paradoxale et ambiguĂ« que la mixitĂ© sociale. La section ci-aprĂšs retrace briĂšvement la formalisation de ce paradigme depuis lâouvrage fondateur de Jean Remy, Liliane VoyĂ© et Emile Servais, Produire ou reproduire ? 1991 [1978]. Elle souligne dâabord trois facteurs qui font lâoriginalitĂ© de cette approche et qui sâappliquent bien Ă la mixitĂ© sociale lâattention portĂ©e aux conflits, la place des accords informels et la combinaison de la confiance et de la mĂ©fiance. Elle interroge ensuite le statut de la transaction sociale câest un paradigme heuristique, avec un but de connaissance ; faut-il aussi le considĂ©rer comme un paradigme pragmatique ? La rĂ©ponse provisoire est prudente. 41En revenant au conflit de dĂ©part, entre la libertĂ© de vivre entourĂ© de ses proches et lâĂ©galitĂ© dans lâaccĂšs Ă un logement dĂ©cent, la section suivante montre que lâapproche juridique, française mais aussi britannique, ne retient que le deuxiĂšme volet, en ignorant le premier. La conciliation de ces deux exigences passe par une dynamique transactionnelle, reconnaissant le rĂŽle dans la cohabitation des communautĂ©s ouvertes », fondĂ©es sur un projet commun. Le paradigme transactionnel 42Lâouvrage Produire ou reproduire ? a Ă©tĂ© dĂ©battu et approfondi collectivement, permettant une formalisation progressive du paradigme transactionnel Blanc et al., 1992 ; Freynet et al., 1998 ; Gibout et al., 2009 ; Maroy et al., 2009. La transaction sociale est dâabord un processus qui inclut de lâĂ©change, au sens du don et du contre-don, de la nĂ©gociation pour parvenir Ă des compromis de coexistence, mais sans prĂ©supposer la libertĂ© et lâĂ©galitĂ© des partenaires la transaction peut passer par des phases de rapport de force et dâimposition section ci-aprĂšs. Faire de la transaction sociale un paradigme pragmatique lui fait courir des risques, mais ce nâest pas une raison suffisante pour lâĂ©carter section suivante. Conflit, compromis, coopĂ©ration et confiance 43Le paradigme transactionnel sâinspire de la sociologie du conflit de Georg Simmel [1907]. La vie sociale est traversĂ©e et structurĂ©e par des couples dâopposition et en tension permanente, les partenaires Ă©tant Ă la fois complĂ©mentaires et opposĂ©s le conflit des gĂ©nĂ©rations, la lutte des sexes ou celle des classes, mais aussi le conflit de la tradition et de la modernitĂ©, etc. Dans ces conflits irrĂ©ductibles, il faut faire son deuil dâune solution dĂ©finitive. Seul un compromis est envisageable et il ne peut ĂȘtre que prĂ©caire et provisoire. La thĂ©orie de la complexitĂ© du social dâEdgar Morin 1991 est une seconde source dâinspiration. Les couples dâopposition produisent des paradoxes qui renforcent la complexitĂ©. 44Le paradigme de la transaction sociale permet de comprendre comment des acteurs qui sont Ă la fois partenaires et adversaires parviennent Ă Ă©laborer les compromis qui leur permettent de coopĂ©rer. La coopĂ©ration suppose un minimum de confiance, mais on ne fait pas spontanĂ©ment confiance Ă un adversaire. La logique juridique est souvent contre-productive car elle fait par principe abstraction de la confiance, considĂ©rant quâun accord en bonne et due forme doit avoir prĂ©vu Ă lâavance toutes les situations de rupture et dâĂ©chec de lâaccord. MĂȘme si elles ne sont pas suffisantes et restent source de fragilitĂ©, les transactions informelles, implicites ou tacites sont souvent fĂ©condes et elles peuvent permettre des avancĂ©es qui seraient impossibles si elles Ă©taient officialisĂ©es. La dĂ©fiance ne disparaĂźt pas, mais la confiance se construit progressivement la transaction se caractĂ©rise comme ce mouvement paradoxal par lequel on Ă©tablit une reconnaissance impossible, ou lâon rĂ©tablit une reconnaissance rompue, ce qui revient dâune maniĂšre ou dâune autre Ă nĂ©gocier ce qui nâest pas nĂ©gociable » Bourdin, 1996, p. 256-257. La connaissance et lâaction 45Le paradigme de la transaction sociale a une fonction heuristique, dont le but est la connaissance intime du social, en combinant lâapproche plus subjective de lâintĂ©rieur et lâapproche plus objective de lâextĂ©rieur. Aujourdâhui, le dĂ©veloppement exponentiel de pratiques sociales faites de mĂ©diation et de transactions, dans les conflits du travail ou dans les conflits familiaux notamment, amĂšne Ă se demander si le paradigme transactionnel a acquis une fonction pragmatique. Que lâapproche par la transaction favorise le dĂ©veloppement de pratiques sociales innovantes, notamment en termes de gestion des conflits, serait une bonne chose. Mais les risques sont nombreux. Le premier serait dâĂ©tablir une codification et un inventaire des bonnes pratiques transactionnelles », ce qui aurait deux inconvĂ©nients ce serait dâabord contradictoire avec lâidĂ©e dâexpĂ©rimentation, de souplesse et dâadaptation au contexte ; ce serait aussi donner une valeur normative Ă la transaction, ce qui pourrait par exemple dĂ©boucher sur la production de manuels de transaction sociale », Ă lâusage de diverses professions, notamment pour les opĂ©rateurs de la mixitĂ© sociale dans lâurbanisme. Il y a de bonnes et de mauvaises transactions les Ă©changes commerciaux reprĂ©sentent des guerres potentielles pacifiquement rĂ©solues et les guerres sont lâissue de transactions malheureuses » Claude LĂ©vi-Strauss, citĂ© par Remy & VoyĂ©, 1981, p. 171. 46La polĂ©mique nĂ©e au QuĂ©bec sur les accommodements raisonnables », aprĂšs la mise en oeuvre des recommandations de la commission prĂ©sidĂ©e par GĂ©rard Bouchard et Charles Taylor 2008, est trĂšs instructive Ă cet Ă©gard dans une sociĂ©tĂ© multiculturelle comme le QuĂ©bec, des rĂšgles qui font sens pour un groupe sont absurdes pour un autre. Pour rĂ©soudre ce problĂšme, on peut adopter une dĂ©marche proche de la recherche dâun compromis transactionnel et tolĂ©rer des assouplissements visant Ă rendre la rĂšgle acceptable par tous. Ce principe a Ă©tĂ© adoptĂ© de façon consensuelle comme plein de bon sens. Pourtant, sa mise en Ćuvre a provoquĂ© un tollĂ© ce qui Ă©tait raisonnable » pour les uns, par exemple la tolĂ©rance au port du voile dans lâespace public, Ă©tait totalement dĂ©raisonnable » pour les autres. Câest la fameuse question de qui jugera les juges ? » comment dĂ©cider de ce qui est raisonnable quand le conflit porte sur les valeurs qui sous-tendent la » rationalitĂ© ? MixitĂ© sociale, communautĂ© de projet et sociĂ©tĂ© 47Les partisans de la mixitĂ© sociale dĂ©noncent sans beaucoup de nuances un coupable tout trouvĂ© les communautĂ©s et le communautarisme ». Si la critique des communautĂ©s refermĂ©es sur elles-mĂȘmes se justifie pleinement, des communautĂ©s ouvertes » peuvent permettre de trouver une issue Ă lâinjonction paradoxale de la mixitĂ© sociale. CommunautĂ©s et sociĂ©tĂ©s 48Revenons sur le paradoxe de la premiĂšre section la loi française privilĂ©gie lâĂ©galitĂ©, avec le droit Ă un logement dĂ©cent ; mais elle fait passer au second plan la libertĂ© de vivre entourĂ© de ses proches. Vivre au milieu de voisins inconnus, avec lesquels il nây a aucune affinitĂ©, est une perspective peu rĂ©jouissante. La mĂȘme logique est Ă lâĆuvre en Grande-Bretagne, oĂč les villes gĂšrent une part importante du logement social. De nombreuses municipalitĂ©s ont mis en place un systĂšme de points pour attribuer leurs logements. Certaines accordaient des points supplĂ©mentaires aux enfants des rĂ©sidents du quartier en considĂ©rant que, si ces jeunes adultes voulaient rester dans le quartier de leur enfance, câĂ©tait une bonne chose pour leur insertion dans la communautĂ© de quartier. Par contre, les juges ont estimĂ© que, si lâintention Ă©tait louable, ce dispositif entrait en contradiction avec la loi contre la discrimination raciale et quâil devait ĂȘtre aboli. En effet, cette prime Ă lâanciennetĂ© » fait obstacle Ă lâobtention dâun logement par les immigrants rĂ©cents Blanc, 2004a, p. 203. 49Le modĂšle implicite est une sociĂ©tĂ© constituĂ©e par des individus mobiles et sans aucune attache, ni Ă des espaces, ni Ă des personnes. Câest une sociĂ©tĂ© sans institutions intermĂ©diaires, ce qui est une vision trĂšs rĂ©ductrice de la complexitĂ© des sociĂ©tĂ©s. Une communautĂ© est un groupe intermĂ©diaire qui entretient des liens affectifs forts, produits par une histoire et une identitĂ© communes. Une communautĂ© peut ĂȘtre repliĂ©e sur elle-mĂȘme et fermĂ©e aux autres ; elle est alors incompatible avec la mixitĂ© sociale. Elle peut aussi ĂȘtre accueillante et ouverte, devenant alors une communautĂ© de projet Blanc, 2012. MixitĂ© sociale et communautĂ© de projet 50Une communautĂ© de projet est par dĂ©finition ouverte Ă tous ceux qui adhĂšrent au projet, mĂȘme si le projet commun est trĂšs vite susceptible de lectures opposĂ©es Reynaud, 1989. Pour rester ouverte, une communautĂ© de projet doit ĂȘtre attentive Ă faire Ă©voluer son projet dans le sens dâune plus grande ouverture, pour que la communautĂ© puisse sâĂ©largir et se renouveler. La distinction entre communautĂ© ouverte et fermĂ©e est un type-idĂ©al toute communautĂ© est prise dans la tension entre lâouverture et la fermeture. La tentation de lâouverture peut donner le vertige en sâĂ©largissant, la communautĂ© risque de renier ses valeurs fondatrices. Câest une piste permettant de concilier les apports de la vie communautaire et les exigences de la mixitĂ© sociale, en respectant lâentre-soi, mais en lâassortissant dâune plus grande ouverture Ă lâenvironnement social. Conclusion inĂ©galitĂ©s et mixitĂ© sociale 51Il faut Ă©viter la confusion, aujourdâhui frĂ©quente, entre lâĂ©galitĂ© et lâĂ©galitĂ© des chances. Pour accĂ©der Ă un emploi, une formation ou un logement, lâĂ©galitĂ© des chances consiste Ă placer tous les candidats sur la ligne de dĂ©part en veillant Ă ce que le processus de sĂ©lection ne prenne en compte que les compĂ©tences de chacun. Cette dĂ©marche a le mĂ©rite de sâattaquer aux privilĂšges, rentes de situation et autres passe-droits. Elle rĂ©duit ainsi des inĂ©galitĂ©s flagrantes et choquantes. Mais lâĂ©galitĂ© des chances ne produit pas de lâĂ©galitĂ© certains sont pris, dâautres sont rejetĂ©s. Les inĂ©galitĂ©s persistent, mais elles deviennent lĂ©gitimes et supportables parce que fondĂ©es sur des critĂšres justes. LâĂ©galitĂ© des chances peut paradoxalement renforcer les inĂ©galitĂ©s justes Bihr & Pfefferkorn, 2000. 52La mixitĂ© sociale est le refus du ghetto et de toute forme dâassignation Ă rĂ©sidence ; elle rĂ©pond Ă lâaspiration Ă davantage de libertĂ© et de fraternitĂ©. Mais, dans sa contribution Ă la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s spatiales, la mixitĂ© sociale doit aller bien au-delĂ de lâĂ©galitĂ© des chances dans lâaccĂšs au logement social. Il ne suffit pas dâimposer la cohabitation sur un mĂȘme espace Ă des catĂ©gories sociales hĂ©tĂ©rogĂšnes. Il faut aussi se soucier de la qualitĂ© des Ă©changes sociaux, ce qui est beaucoup plus difficile Ă mettre en Ćuvre et Ă apprĂ©cier.
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comment les inégalités sociales portent atteinte à la cohésion sociale